L'ILLUSTRATION
Prix du Numéro: 75 centimes.
SAMEDI 3 JANVIER 1891
49e Année.--Nº 2497
OCTAVE FEUILLET.
D'après la photographie de Nadar.
'ANNÉE 1801 aura commencé lorsque paraîtront ces lignes. Oh! elle nesera pas bien âgée. Née à peine. Et déjà elle sera de l'histoire, ouplutôt elle aura son histoire. J'ai remarqué souvent--ce qui prouve queje ne suis plus tout jeune--oui, j'ai remarqué que les années nouvellesdébutent par quelque événement à sensation. Est-ce une mort illustre,une naissance espérée, une révolution inattendue? Je n'en sais rien.Mais, pareilles à ces souverains qui veulent affirmer leur autorité dèsle début de leur règne, les années encore vagissantes s'affirment, ellesaussi, comme elles peuvent.
Et déjà elle est oubliée, terriblement oubliée, l'année 90! Finie,abolie, emportée comme dans une hotte de chiffonniers. 90! Comme c'estloin! C'est hier, mais c'est loin. On ne se préoccupe pas du tout, maisdu tout, de ce que 90 nous a donné. On ne s'occupe que de ce que nouspromet 91.
Les derniers jours de l'an passé ont été égayés par une aventure assezdivertissante, l'aventure du chalet. Il ne s'agit pas de celuid'Adolphe Adam, qu'on ne joue plus guère à l'Opéra-Comique, mais biend'un chalet en planches, artistiquement orné, qu'on avait trouvé bond'installer, en plein cœur de Paris, devant la façade de l'Opéra. Ilétait hideux, ce joli chalet dont l'usage ne se pourrait dire, diraitune lady anglaise, et, en l'apercevant, tout Parisien s'écriait:
--Pourquoi ce chalet? Je n'en vois pas la nécessité!
Il a disparu, le chalet, sous le ridicule et sous les protestations despassants. Les Parisiens en étaient si outrés, qu'un moment ils avaientvoulu l'enlever par la force. Des gardiens de la paix ont dû protégercontre la révolte artistique de la foule ce chalet si malencontreux.
Quel drôle de peuple! On peut l'écraser d'impôts, le mener à labaguette, on ne peut pas lui imposer une baraque en bois dont il ne veutpas. On a jadis parlé de la révolution du mépris. Parisiens de1890-91, nous avons frôlé la révolution du chalet! C'était, du reste,une idée bien étrange de déshonorer la place de l'Opéra par cettemaisonnette ad usum populi. Nous avons l'art de désembellir Paris.Nous l'avons orné de statues difformes, d'un Ledru-Rollin bizarre, d'unShakespeare étrange, d'un Louis Blanc géant. Ces statues ne suffisentpas. Voilà les chalets maintenant. Celui-ci a disparu. Paix à samémoire! Mais on n'eût pas cru possible une idée d'architecte aussisaugrenue.
Le chalet a été emporté par un vent de protestation, absolument commenombre de gens célèbres par des congestions pulmonaires. Oh! le rudehiver! et que les fluxions de poitrine sont fréquentes! Je plains lespauvres humains et les malheureux qui n'ont ni boas ni pelisses. La biseest aigre, la gelée féroce, et le ciel a cette couleur grise du papier àla mode qu'on appelle papier ciel d'hiver. M. Émile Durier a été unedes victimes de la température. Solide, souriant, aimable, il semblaitrobuste et jeune encore, quoique sexagénaire, l'ancien bâtonnier del'ordre des avocats. Une physionomie ouverte, un accueil toujoursagréable. C'était une figure parisienne plus encore qu'une figurepolitique. De la révolution qui avait porté au pouvoir tous ses amis,l'ex