EXPÉDITION D'ÉGYPTE. DÉPART DE TOULON; ARRIVÉE DEVANT MALTE; CONQUÊTEDE CETTE ILE. DÉPART POUR L'ÉGYPTE; DÉBARQUEMENT A ALEXANDRIE;PRISE DE CETTE PLACE. MARCHE SUR LE CAIRE; COMBAT DE CHÉBREÏSS.BATAILLE DES PYRAMIDES; OCCUPATION DU CAIRE. TRAVAUXADMINISTRATIFS DE BONAPARTE EN ÉGYPTE; ÉTABLISSEMENT DE LA NOUVELLECOLONIE. BATAILLE NAVALE D'ABOUKIR, DESTRUCTION DE LA FLOTTEFRANÇAISE PAR LES ANGLAIS.
Bonaparte arriva à Toulon le 20 floréal an VI(9 mai 1798). Sa présence réjouit l'armée, qui commençaità murmurer et à craindre qu'il ne fût pasà la tête de l'expédition. C'était l'ancienne arméed'Italie. Elle était riche, couverte de gloire, et onpouvait dire d'elle, que sa fortune était faite. Aussiavait-elle beaucoup moins de zèle à faire la guerre,et il fallait toute la passion que lui inspirait songénéral, pour la décider à s'embarquer et à courirvers une destination inconnue. Cependant elle futsaisie d'enthousiasme en le voyant à Toulon. Il yavait huit mois qu'elle ne l'avait vu. Sur-le-champBonaparte, sans lui expliquer sa destination, luiadressa la proclamation suivante:
«SOLDATS!
«Vous êtes une des ailes de l'armée d'Angleterre.Vous avez fait la guerre de montagnes, de plaines,de siége; il vous reste à faire la guerre maritime.
«Les légions romaines, que vous avez quelquefoisimitées, mais pas encore égalées, combattaientCarthage tour à tour sur cette mer et auxplaines de Zama. La victoire ne les abandonna jamais,parce que constamment elles furent bravespatientes à supporter la fatigue, disciplinées etunies entre elles.
«Soldats, l'Europe a les yeux sur vous! vousavez de grandes destinées à remplir, des bataillesà livrer, des dangers, des fatigues à vaincre; vousferez plus que vous n'avez fait pour la prospéritéde la patrie, le bonheur des hommes, et votrepropre gloire.
«Soldats, matelots, fantassins, canonniers, cavaliers,soyez unis; souvenez-vous que le jourd'une bataille vous avez besoin les uns des autres.
«Soldats, matelots, vous avez été jusqu'ici négligés;aujourd'hui la plus grande sollicitude dela république est pour vous: vous serez dignes del'armée dont vous faites partie.
«Le génie de la liberté qui a rendu, dès sa naissance,la république l'arbitre de l'Europe, veutqu'elle le soit des mers et des nations les pluslointaines.»
On ne pouvait pas annoncer plus dignement unegrande entreprise, en la laissant toujours dans lemystère qui devait l'envelopper.
L'escadre de l'amiral Brueys se composait detreize vaisseaux de ligne, dont un de 120 canons(c'était l'Orient, que devaient monter l'amiral et legénéral en chef), deux de 80, et dix de 74. Il yavait de plus deux vaisseaux vénitiens de 64 canons,six frégates vénitiennes et huit françaises,soixante-douze corvettes, cutters, avisos, chaloupescanonnières, petits navires de toute espèce.Les transports réunis tant à Toulon qu'à Gênes,Ajaccio, Civita-Vecchia, s'élevaient à quatre cents.C'étaient donc cinq cents voiles qui allaient flotterà la fois sur la Méditerranée. Jamais pareil armementn'avait couvert les mers. La flotte portait environquarante mille hommes de toutes armes etdix mille marins. Elle avait de l'eau pour un mois,des vivres pour deux.
On mit à la voile le 30 floréal (19 mai), au bruitdu canon, aux acclamations de toute l'armée. Desvents violens causèrent quelque dommage à unefrégate à la sortie du po