MARCEL PROUST

A LA RECHERCHEDU TEMPS PERDU

VI

LE CÔTÉ DE GUERMANTES

(DEUXIÈME PARTIE)


nrf

GALLIMARD




Comme je l'avais supposé avant de faire la connaissance deMme deVilleparisis à Balbec, il y avait une grande différenceentre le milieuoù elle vivait et celui de Mme de Guermantes. Mme deVilleparisis étaitune de ces femmes qui, nées dans une maison glorieuse,entrées par leurmariage dans une autre qui ne l'était pas moins, ne jouissentpascependant d'une grande situation mondaine, et, en dehors de quelquesduchesses qui sont leurs nièces ou leurs belles-soeurs, etmême d'une oudeux têtes couronnées, vieilles relations de famille,n'ont dans leursalon qu'un public de troisième ordre, bourgeoisie, noblesse deprovinceou tarée, dont la présence a depuis longtempséloigné les gens élégantset snobs qui ne sont pas obligés d'y venir par devoirs deparenté oud'intimité trop ancienne. Certes je n'eus au bout de quelquesinstantsaucune peine à comprendre pourquoi Mme de Villeparisiss'était trouvée,à Balbec, si bien informée, et mieux quenous-mêmes, des moindresdétails du voyage que mon père faisait alors en Espagneavec M. deNorpois. Mais il n'était pas possible malgré cela des'arrêter à l'idéeque la liaison, depuis plus de vingt ans, de Mme de Villeparisis avecl'Ambassadeur pût être la cause du déclassement dela marquise dans unmonde où les femmes les plus brillantes affichaient des amantsmoinsrespectables que celui-ci, lequel d'ailleurs n'étaitprobablement plusdepuis longtemps pour la marquise autre chose qu'un vieil ami. Mme deVilleparisis avait-elle eu jadis d'autres aventures? étant alorsd'uncaractère plus passionné que maintenant, dans unevieillesse apaisée etpieuse qui devait peut-être pourtant un peu de sa couleurà ces annéesardentes et consumées, n'avait-elle pas su, en provinceoù elle avaitvécu longtemps, éviter certains scandales, inconnus desnouvellesgénérations, lesquelles en constataient seulement l'effetdans lacomposition mêlée et défectueuse d'un salon fait,sans cela, pour êtreun des plus purs de tout médiocre alliage? Cette «mauvaiselangue» queson neveu lui attribuait lui avait-elle, dans ces temps-là, faitdesennemis? l'avait-elle poussée à profiter de certainssuccès auprès deshommes pour exercer des vengeances contre des femmes? Tout celaétaitpossible; et ce n'est pas la façon exquise,sensible—nuançant sidélicatement non seulement les expressions mais lesintonations—aveclaquelle Mme de Villeparisis parlait de la pudeur, de la bonté,quipouvait infirmer cette supposition; car ceux qui non seulement parlentbien de certaines vertus, mais même en ressentent le charme etlescomprennent à merveille (qui sauront en peindre dans leursMémoires unedigne image), sont souvent issus, mais ne font pas eux-mêmespartie, dela génération muette, fruste et sans art, qui lespratiqua. Celle-ci sereflète en eux, mais ne s'y continue pas. A la place ducaractèrequ'elle avait, on trouve une sensibilité, une intelligence, quineservent pas à l'action. Et qu'il y eût ou non dans la viede Mme deVilleparisis de ces scandales qu'eût effacésl'éclat de son nom, c'estcette intelligence, une intelligence presque d'écrivain desecond ordrebien plus que de femme du monde, qui était certainement la causede sadéchéance mondaine.

Sans doute c'étaient des qualités assez peuexaltantes, comme lapondération et la mesure, que prônait surtout Mme deVilleparisis; maispour parler de la mesure d'une façon entièrementadéquate, la mesure nesuffit pas et il faut certains mérites d'écrivains quisupposent uneexaltation peu mesurée; j'avais remarqué à Balbecque le génie decertains grands artistes restait incompris de Mm

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