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OÙ VA LE MONDE?
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TRADUCTION FRANÇAISE ET AVANT-PROPOS
DE
S. JANKÉLÉVITCH
PAYOT & CIE, PARIS
106, BOULEVARD SAINT-GERMAIN
1922
Tous droits réservés
Avant-propos du traducteur Introduction Le but Le chemin I.—Le chemin de l'économie II. —Le chemin de la morale III.—Le chemin de la volonté |
Depuis que cet ouvrage a été traduit, Walther Rathenau est mort,assassiné en pleine activité, payant ainsi de sa vie l'audace de sesidées et sa volonté persévérante d'en poursuivre la réalisation dans lecadre de la République allemande.
«Dis-moi quels sont tes ennemis, et je te dirai qui tu es»,pourrait-on, à son propos, paraphraser l'adage bien connu. Or, si,pendant sa vie, il était parfois permis de se demander quel était lefond de sa pensée et quelles étaient ses véritables intentions, le gestehomicide, accompli par ordre par quelques sicaires réactionnaires, nelaisse plus le moindre doute à cet égard.
Ce geste a classé Rathenau parmi les adversaires les plus décidés del'ancien régime, parmi les hommes les plus convaincus que ce sont lesfautes de ce régime qui ont surtout contribué à plonger l'Allemagne et,avec elle, l'Europe entière dans le chaos et le désordre qui, si on n'yporte immédiatement remède, menacent d'engendrer de nouveaux cataclysmesdont les conséquences seront encore plus terribles.
L'Allemagne, d'après Rathenau, dans l'état où l'a laissée la guerre etqui n'était à son avis qu'une conséquence logique de son étatd'avant-guerre, avait besoin d'être reconstruite de fond en comble,mais, dans son esprit, la reconstruction de l'Allemagne ne pouvait sefaire qu'en fonction de la reconstruction générale de l'Europe, et mêmedu monde entier, la guerre ayant montré que, sous des dehors enapparence différents, tous les pays, toutes les nations souffraient desmêmes maux, présentaient les mêmes vices et les mêmes faiblesses.
Avant la guerre, les Allemands étaient fiers de ce qu'ils appelaientleur «esprit d'organisation» et considéraient avec mépris les autrespeuples, les peuples latins et slaves en particulier, qui, eux,«n'auraient pas encore dépassé la phase de l'individualisme». Ceux-ci, àleur tour, objectaient aux Allemands que leur fameuse organisationn'était qu'une organisation de caserne, une organisation fondée sur lasoumission passive et aveugle, et vantaient les mérites de l'initiativeindividuelle et de l'esprit d'improvisation.
La guerre est venue révéler aux uns et aux autres qu'ils avaientégalement tort et raison à la fois. Elle a montré, d'une part, que dansla complication de la vie moderne l'initiative individuelle et l'espritd'improvisation ne peuvent