ALAIN-FOURNIER
AVEC UNE INTRODUCTION DE
JACQUES RIVIÈRE
Deuxième édition
PARIS
Librairie Gallimard
ÉDITIONS DE LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
3, rue de Grenelle (VIme)
DU MÊME AUTEUR
LE GRAND MEAULNES, roman. (Emile-Paul, 1913).
IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE APRÈS IMPOSITIONSSPÉCIALES 108 EXEMPLAIRES IN-QUARTO TELLIÈRESUR PAPIER VERGÉ PUR FIL LAFUMA-NAVARRE AUFILIGRANE DE LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE DONT8 HORS-COMMERCE MARQUÉS DE A A H, 100 EXEMPLAIRESRÉSERVÉS AUX BIBLIOPHILES DE LA NOUVELLEREVUE FRANÇAISE NUMÉROTÉS DE I A C ET792 EXEMPLAIRES RÉSERVÉS AUX AMIS DE L'ÉDITIONORIGINALE SUR PAPIER VELIN PUR FIL LAFUMA-NAVARREDONT 12 EXEMPLAIRES HORS-COMMERCE MARQUÉSDE a A l, 750 EXEMPLAIRES NUMÉROTÉS DE1 A 750 ET 30 EXEMPLAIRES D'AUTEUR HORS-COMMERCENUMÉROTÉS DE 751 A 780, CE TIRAGECONSTITUANT PROPREMENT ET AUTHENTIQUEMENTL'ÉDITION ORIGINALE.
TOUS DROITS DE TRADUCTION ET DE REPRODUCTIONRÉSERVÉS POUR TOUS LES PAYS Y COMPRIS LARUSSIE COPYRIGHT BY LIBRAIRIE GALLIMARD, 1924.
MIRACLES
Comment rattraper sur la route terrible oùelle nous a fuis, au delà du spécieux tournantde la mort, cette âme qui ne fut jamais toutentière avec nous, qui nous a passé entre lesmains comme une ombre rêveuse et téméraire?
«Je ne suis peut-être pas tout à fait un êtreréel.» Cette confidence de Benjamin Constant,le jour où il la découvrit, Alain-Fournier futprofondément bouleversé; tout de suite il s'appliquala phrase à lui-même et il nous recommandasolennellement, je me rappelle, de nejamais l'oublier, quand nous aurions, en son absence,à nous expliquer quelque chose de lui.
Je vois bien ce qui était dans sa pensée: «Ilmanque quelque chose à tout ce que je fais,pour être sérieux, évident, indiscutable. Maisaussi le plan sur lequel je circule n'est pas tout àfait le même que le vôtre; il me permet peut-êtrede passer là où vous voyez un abîme: il n'y apeut-être pas pour moi la même discontinuitéque pour vous entre ce monde et l'autre.»
Ses plus grands enthousiasmes littéraires allèrenttoujours aux œuvres qui lui faisaient sentirl'idéalité de l'univers et de la vie elle-même.
Il faut savoir aussi combien il était sobre:matériellement d'abord (jamais il ne semblaprendre à la nourriture le moindre plaisir, il nelui demandait que de l'entretenir en vie); maissurtout au spirituel: j'ai souvent admiré combienlégèrement il goûtait à la réalité et c'étaitune surprise pour moi, à chaque fois, de voir dequelle impondérable mousse s'emplissait seulementla coupe qu'il y plongeait.
Il n'y avait pas là l'effet d'une constitutionphysique fragile, ni aucune intolérance par débilité.Au contraire Fournier fut toute sa vie robusteet bien portant. C'était son esprit toutseul dont l'aspiration était ainsi prudente etréservée,—comme s'il eût eu ailleurs d'autressources où puiser, et une alimentation invisible.
Quand je la compare à la sienne, toute ma vie,qui pourtant fut occupée par beaucoup desmêmes événements, m'apparaît affreu