Bruxelles.—Imp. de E. Guyot, succ. de Stapleaux,
rue de Schaerbeek, 12.
COLLECTION HETZEL.
PAR
Édition autorisée pour la Belgique et l'Étranger,
interdite pour la France.
LEIPZIG,
ALPHONSE DÜRR, LIBRAIRE-ÉDITEUR.
1857
Le bossu était entré l'un des premiers à l'hôtel de Gonzague, et dèsl'ouverture des portes on l'avait vu arriver avec un petitcommissionnaire qui portait une chaise, un coffre, un oreiller et unmatelas.
Le bossu meublait sa niche et voulait évidemment en faire son domicile,comme il en avait le droit par son bail.
Il avait, en effet, succédé aux droits de Médor, et Médor couchait danssa niche.
Les locataires des cahutes du jardin de 6 Gonzague eussent voulu desjours de vingt-quatre heures. Le temps manquait à leur appétit denégoce. En route pour aller chez eux ou en revenir, ils agiotaient; ilsse réunissaient pour dîner afin d'agioter en mangeant. Les heures seulesdu sommeil étaient perdues.
N'est-il pas humiliant de penser que l'homme, esclave d'un besoinmatériel, ne peut agioter en dormant!
La veine était à la hausse. La fête du Palais-Royal avait produit unimmense effet. Bien entendu, personne, parmi ce petit peuple despéculateurs, n'avait mis le pied à la fête; mais quelques-uns, perchéssur les terrasses des maisons voisines, avaient pu entrevoir le ballet.On ne parlait que du ballet. La fille du Mississipi, puisant à l'urne deson respectable père de l'eau qui se changeait en pièces d'or, voilà unefine et charmante allégorie, quelque chose de vraiment français et quipouvait faire pressentir à quelle hauteur s'élèverait dans les sièclessuivants le génie dramatique du peuple qui, né malin, créa levaudeville!
Au souper, entre la poire et le fromage, on avait accordé une nouvellecréation d'actions. C'étaient les petites-filles. Elles avaient déjàdix pour cent de prime avant d'être gravées. 7 Les mères étaientblanches, les filles jaunes; les petites-filles devaient êtrebleues: couleur du ciel, du lointain, de l'espoir et des rêves!
Il y a, quoi qu'on en dise, une large et profonde poésie dans unregistre à souche!
En général, les boutiques qui faisaient le coin des rues baraquéesétaient des débits de boissons dont les maîtres vendaient le ratafiad'une main et jouaient de l'autre. On buvait beaucoup: cela met del'entrain dans les transactions.—A chaque instant, on voyait lesspéculateurs heureux porter rasade aux gardes-françaises, postés ensentinelles aux avenues principales.
Ces tours de faction étaient très-recherchés. Cela valait une campagneaux Porcherons.
Incessamment, des portefaix et voituriers à bras amenaient des masses demarchandises qu'on entassait dans les cases ou