PARIS
BERNARD GRASSET, ÉDITEUR
61, RUE DES SAINTS-PÈRES, 61
1913
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d'adaptation réservés pour tous pays.
Copyright by Bernard Grasset 1913
IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE:
13 exemplaires sur Hollande Van Geldernumérotés de 1 à 13
Jean-Paul a loué, rue de Bellechasse,un petit appartement au cinquième.Les fenêtres s'ouvrent sur unpaysage de toits. Son père lui a envoyéles vieux meubles qu'on avaitabandonnés dans des greniers, à lacampagne; ils ont vu l'étroite existencedes grands-parents, et, vieuxserviteurs retrouvés, connaissent bience jeune homme qui heurtait jadiscontre leurs angles son front d'enfant.Voici une pendule dont le timbre,la nuit, éveillait Jean-Paul,dans le sommeil de la chambre etdans le silence terrible de la campagne...
Jean-Paul s'occupe humblementdes menus travaux que lui imposentles cours de Sorbonne, et publie dansd'obscures revues des vers dont il nesait trop que penser.
Il y a sur son bureau une photographieoù sourit, d'un sourire las etdéjà souffrant, la mère qu'il n'a pasconnue. Son père, Bertrand Johanet,habite en Guyenne une métairie entouréede landes. Il est l'homme dece pays qui tue le plus de bécassesdans les mois d'hiver, et qui, en août,quand des forêts de pins flambentsous le soleil, fait signe aux paysansd'allumer le contre-feu.
Il ne connaît pas son fils et Jean-Paulne connaît pas cet homme hâlé,hirsute, mal tenu, qui est son pèreet il se demande parfois: «Commentsuis-je sorti de lui? A mon âge, iln'avait d'autre joie que de partir dèsl'aube, en char à bancs, avec les amisjoyeux, et les chiens en boule au fondde la voiture... J'ai vingt ans et le plaisirqui m'aide à vivre est de confrontermon âme et celle que révèlent meslivres les plus aimés. J'ai besoin souventqu'une musique exprime la sentimentalitébanale de ma jeunesseet ma joie est aussi de voleter autourde la première âme venue commeles papillons de nuit autour de lalampe, quand, aux soirs d'été, lasalle à manger s'ouvre sur le jardin...»
Ce jour-là, Jean-Paul regarda sachambre, et connut qu'elle était laide.Dans la claire après-midi, les reproductionsdes tableaux de Carrière etde Maurice Denis luisaient commedes chromos. La statuette de Tanagra,simili-terre-cuite, s'écaillait auxangles. Parmi ces vulgarités, Jean-Paulsentit monter en lui comme unflot d'eau trouble, un écœurement infini;cherchant les causes d'une telledétresse, il songea que sa médiocrités'était révélée dans une conversationavec un ami plus instruit, et qu'ununiversitaire, en l'interrogeant, l'avaithumilié devant six tables de cuistres.
Il n'avait donc pas cette consolationde donner à sa mélancolie une raisonsupérieure: elle résultait de causesinfimes; alors il composa un sonnetque d'abord il jugea louable, maisdont la banalité le stupéfia, quand ille relut.
Cinq heures sonnèrent à Saint-François-Xavier.Il décida d'errer auhasard dans les rues. En descendantl'escalier, il murmurait: «Je ne faisrien ... je vais échouer à la licence ...pourtant si demain je me traçais unplan d'études...» Il avait constatémaintes fois que ce projet de pland'études infailliblement le tranquillisait...Jean-Paul suivit la rue deRennes, dont il haïssait les pe