PAR
J. MICHELET
NOUVELLE ÉDITION, REVUE ET AUGMENTÉE
TOME SEIZIÈME
PARIS
LIBRAIRIE INTERNATIONALE
A. LACROIX & Ce, ÉDITEURS
13, rue du Faubourg-Montmartre, 13
1877
Tous droits de traduction et de reproduction réservés
Au moment où Jacques II arrive à Saint-Germain, la question estcelle-ci: le ministre imprévoyant à qui ce grand désastre est imputé,Louvois, sera-t-il encore roi de France? Le vrai roi, qui règne parlui-même, dit-on, depuis 1661, ne peut-il se passer de ministre,n'employer plus que des commis?
Louvois s'était trompé, comme on a vu. Au lieu de retenir Guillaume enlui lançant une armée en Hollande, il l'avait laissé s'embarquertranquillement. La reine d'Angleterre, puis le roi Jacques, lestristes naufragés, lords et évêques, prêtres, Jésuites, qui arrivaientà la file, c'étaient autant d'accusations. Saint-Germain enharditVersailles. La cour osa parler, (p. 2) et c'était la voix du royaume,celle du roi, qui détestait Louvois.
Personne, pas même le maître, ne l'accusait en face. Tout était danssa main. On n'eût pas affronté ce redoutable personnage, dont letravail immense semblait la vie de l'État, dont la violence etl'insolence, la permanente colère, faisaient l'effroi de tous. Maisdéjà on osait murmurer, parler bas.
Que ne parlait-on haut? il aurait pu répondre. Sa dernière, satrès-grande faute, d'où venait-elle? Pourquoi avait-il eu le tort deporter toutes nos forces sur le Rhin? Précisément parce que déjà il sesentait haï du roi, près de sa perte. Il avait cru se raffermir enarrangeant pour le Dauphin une belle campagne; il avait cru, enfaisant briller là le fils du cœur, le petit duc du Maine,neutraliser le travail sourd qu'une certaine personne faisait contrelui dans les profondeurs de Versailles.
Cette lutte intérieure avait été pour lui une fatalité. Pour quiavait-il fait les dragonnades, lui, si peu religieux? Pour expier sonalliance avec la Montespan, trouver grâce au parti dévot. Mais, enmême temps, il en avait perdu tout le mérite, en s'opposant violemmentau mariage du roi, en l'empêchant du moins de couronner madameScarron. Et il continuait d'empêcher la déclaration du mariage. Le roine l'osait pas, Louvois vivant. Et, Louvois mort, il ne l'osa pasencore, recula devant sa mémoire, devant le mépris, la risée dontLouvois l'avait menacé,—de sorte que la fée survivante, assise prèsdu roi dans un fauteuil égal, ne put jamais du fauteuil faire untrône, et (p. 3) trouva dans Louvois, même mort, son empêchementdéfinitif.
Rien d'étonnant si l'on cherche à le perdre. Mais, lui perdu, tout iraà la dérive. Seul encore de sa forte main, il garde un certain ordre.Le grand ministère de la guerre, sous un tel homme, pèse d'un si grandpoids, que les autres mêmes, on peut le dire, n'osent se désorganiser.Qui le remplacera? le roi seul. On verra avec quel succès.
En 1689, la France, attaquée par l'Europe, se regarde, et voit qu'aubout de dix années de paix, elle est ruinée. Qui a fait cette ruine?Deux choses qui arrivent au déclin des empires: le découragementgénéral et la diminution du travail, la complication progressive del'administration et des dépenses. Telle la fin de l'empire romain.Ajoutez-y l'amputation énorme que la France vient de faire surelle-même.
En 1661