LETTRES À UNE INCONNUE

par

PROSPER MÉRIMÉE

De l'Académie française

Précédés d'une étude sur Mérimée

par

H. Taine

Tome Deuxième

PARIS
Michel Lévy Frères, Éditeurs
3, Rue Auber, 3, Place de L'Opéra
Librarie Nouvelle
Boulevard des Italiens, 15, Au coin de la Rue de Grammont
1874

CLXXV

Paris, 8 septembre 1857.

Pendant que vous vous livrez à l'enthousiasme,je tousse et je suis très-malade d'un rhumeaffreux. J'espère que cela vous touchera. Je necomprends pas que vous restiez trois jours àLucerne, à moins que vous n'employiez votretemps à courir sur le lac. Mais il est inutile devous donner des conseils qui arriveront trop tard.Le seul que je vous envoie et dont vous profiterez,j'espère, c'est de ne pas oublier vos amis deFrance dans le beau pays que vous visitez. Il n'ya absolument personne à Paris, mais cette solitudene me déplaît pas. Je passe mes soirées sanstrop m'ennuyer, à ne rien faire. Si je n'étaisréellement très-souffrant, je me plairais beaucoupà ce calme et je voudrais qu'il durât toute l'année.Vos étonnements en voyage doivent êtretrès-amusants, et je regrette bien de n'en êtrepas témoin. Si vous aviez arrangé vos affairesavec un peu de tactique, nous aurions pu nousrencontrer en route et faire une excursion oudeux, voir des chamois ou tout au moins desécureuils noirs. Si je n'étais pas si malade qu'ilm'est impossible de mettre deux idées l'une devantl'autre, je profiterais de votre absence pourtravailler. J'ai une promesse à remplir avec laRevue des Deux Mondes, et une Vie de Brantômeà faire, où j'ai une grande quantité de chosestéméraires à dire. Je m'amuse à en retourner lesphrases dans ma tête; mais le courage me manquelorsqu'il s'agit de quitter mon fauteuil pouraller les écrire. Je suis fâché que vous n'ayezpas emporté un volume de Beyle sur l'Italie, quivous aurait amusée en route et appris quelquechose sur la société. Il aimait particulièrementMilan, parce qu'il y avait été amoureux. Je n'ysuis jamais allé, mais je n'ai jamais pu aimer lesMilanais que j'ai rencontrés, qui m'ont toujoursfait l'effet de Français de province. Si vous trouviezà Venise un vieux livre latin quel qu'il soitde l'imprimerie des Aide, grand de marge, quine coûte pas trop cher, achetez-le-moi. Vous lereconnaîtrez aux caractères italiques et à la marque,qui est une licorne avec un dauphin qui s'ytortille. Je pense que vous ne m'écrirez guèreayant si nombreuse compagnie avec vous. Cependant,vous devriez de temps en temps me charmerde vos nouvelles et me faire prendre patience:vous savez que je ne possède pas votre vertu.Adieu; amusez-vous bien, voyez le plus de belleschoses que vous pourrez, mais ne vous mettezpas en tête le désir de tout voir. Il faut se dire:«Je reviendrai.» Il vous en restera toujours assezdans la mémoire pour vous occuper. Je voudraisbien aller en gondole avec vous. Adieu encore;surtout soignez-vous et ne vous fatiguez pas.


CLXXVI

Aix, 6 janvier 1858.

Vous croyez qu'on trouve des troncs d'arbrecomme cela en bracelets, et que les orfèvres comprennentvos comparaisons! J'ai fait acquisition dequelque chose qui ressemble à un tas de champignons,mais le prix m'a un peu déconcerté.Avez-vous marchandé à Gênes? J'en doute; autrement,vous auriez acheté. Mais m'importe. Vousne saviez peut-être pas non plus que les ouvragesen filigrane payent un droit de onze francs parhectogramme, ce qui fait qu'en France ils coûten

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