Par Mr. de M**.
A HAMBOURG.
M. D. C. C. C.
Voici enfin cetteMargot la Ravaudeuse,dont le Généralde la Pousse,[1] sollicitépar le Corps des Catins& de leurs infames Supôts,voulut faire uncrime d'Etat à son Auteur.Comme on nel'accusoit pas moins qued'avoir attaqué dans cetOuvrage, la Religion,le Gouvernement & leSouverain, il s'est déterminéà le mettre aujour, craignant que sonsilence ne déposât contrelui, & qu'on ne lecrût réellement coupable.Le Public jugeraqui a tort ou raison.
[1] Le Lieutenant de Police.
Ce n'est point par vanité, encoremoins par modestie, que j'exposeau grand jour les rôlesdivers que j'ai joués pendant ma jeunesse.Mon principal but est de mortifier,s'il se peut, l'amour-propre decelles qui ont fait leur petite fortunepar des voies semblables aux miennes,& de donner au Public un témoignageéclatant de ma reconnoissance,en avouant que je tiens tout ce que jeposséde de ses bienfaits & de sa générosité.
Je suis née dans la rue saint Paul, &c'est à l'union clandestine d'un honnêteSoldat aux Gardes & d'une Ravaudeuseque je suis redevable de mon existence.Ma mere, naturellement fainéante,m'instruisit de bonne heure dans l'art de ressertir & rapetasser proprement des chausses, afin de se débarrasser le plutôtqu'il lui seroit possible du soin de la professionsur moi. J'avois atteint ma treiziémeannée, lorsqu'elle crut pouvoirme céder son tonneau[2] & ses pratiques,aux conditions pourtant de lui rendrechaque jour un compte exact de mongain. Je répondis si parfaitement à ses espérances, qu'en moins de rien je devinsla perle desravaudeuses du quartier.Je ne bornois pas mes talens à laseule chaussure, je savois aussi très-bienraccommoder les vieilles culottes & y remettre des fonds; mais ce qui ajoutoità mon habileté, & me rendoit leplus recommandable, c'étoit une phisionomiecharmante dont la nature m'avoitgratifiée. Il n'y avoit personne desenvirons qui ne voulût être ravaudé dema façon. Mon tonneau étoit le rendez-vousde tous les laquais de la rue St.Antoine. Ce fut en si bonne compagnieque je pris les premiéres teintures dela belle éducation & du savoir vivre,que j'ai beaucoup perfectionnés depuis,dans les différens états où je me suis trouvée. Ma Parentéle m'avoit transmispar le sang & par ses bons exemplesun si grand panchant pour les plaisirslibidineux, que je mourois d'envie demarcher sur ses traces, & d'expérimenterles douceurs de la copulation. Mr. Tranche-montagne (c'étoit mon pere),ma mere & moi nous occupions auquatriéme étage, une seule chambremeublée de deux chaises de paille, de quelques plats de terre à moitié rompus, d'une vieille armoire, & d'ungrand vilain grabat